Voeux de mise en scène

Texte de Romain Miceli,
metteur en scène
Dans son traité sur le beau et le sublime, Emmanuel Kant place la beauté dans l’œil du spectateur. Dans l’un des développements de sa théorie, le philosophe allemand traite de « l’effroi ». Pour lui ainsi, la première rencontre d’avec la beauté suscite chez le spectateur une sensation comparable à un tressaillement de peur. Pour ce penseur, c’est le premier type de sublime, le « sublime de terreur ».
Voici peut-être la sensation que le soussigné a pu ressentir lorsque le projet lui a été présenté. Sensation retrouvée quand l’Eglise St-François a définitivement été définie comme le lieu dans lequel la comédie musicale sera représentée. Quelles difficultés et quel défi !
Jouer dans une Eglise… La beauté du grand volume mise en parallèle avec les embarras techniques d’obtenir un son et une lumière adaptés. L’autel, au centre de ce qui est devenu plateau de jeu, une forme à intégrer à la scénographie. La double absence de rideaux un souci sérieux. Absence de rideaux sur les vitres de l’église : de facto impossibilité d’obscurcir complètement la salle. Absence de rideaux devant la scène ensuite, rendant impossible l’effet courant en théâtre qui consiste à masquer l’espace scénique.
Double absence de rideaux et… triple construction scénique. Un plateau central sur lequel seront placés vingt-deux protagonistes : les interactions de jeu théâtral et des solistes. Une avant-scène sur laquelle douze danseuses ajouteront magie et grâce au spectacle. 4 travées propres au lieu qui sont ajoutées aux entrées de Jardin et de Cour pour entourer le public. Ces lignes de force relient à l’arrière de l’Eglise qui…. est devenu essentielle. L’orgue a été entouré. C’est là en effet que le centre névralgique du son a été positionné. Quarante choristes donnent de la voix et habillent les scènes tandis que la musique est jouée en direct par douze musiciens. Ajoutons à cela une scénographie qui suit les courbes rares du lieu, et nous arrivons à une mise en scène totale qui met harmonieusement en avant les qualités de chaque groupe.
Un pied devant l’autre. Une trouvaille à la fois. Un problème n’est-il pas une solution qui ne s’est pas encore manifestée ? Dans notre cas, c’est la fluidité du jeu, de la musique, des sons et des différentes composantes mises ensemble qui rendent toute leur magie à cette comédie musicale. Les difficultés techniques sont encore là, mais ont été dépassées. Les impossibles sont devenus possibles.
Concluons avec le troisième type de sublime chez Kant : « le sublime de la magnificence ». Ce type de sublime est défini comme une grande profusion de choses qui sont splendides en elles-mêmes. Ainsi, chaque composante individuellement est précieuse, tandis que le total est unique. Pas parfait, mais unique. Fort par son défi relevé et sa sincérité vraie.
Une douce folie de mettre en espace, en scène et en harmonie un tel Musical. Au final toutefois, un parti pris artistique exploitant forces et faiblesses de l’existant pour suspendre le réel 120 minutes durant.
Bon voyage.